Vous tous qui restez, soyez dignes de nous



Le 22 octobre , "journée de commémoration de la Résistance", ainsi l’a voulu le Président de la République Nicolas Sarkozy, la dernière lettre de Guy Moquet (1) , résistant des jeunesses communistes ( il distribuait les tracts du PCF ) avant d’être fusillé le 22 octobre 1941 au camp de Chateaubriant avec 26 autres prisonniers, sera lue dans tous les lycées de France.

Le cadre est large pour les enseignants en cette journée de mémoire sur la résistance. Beaucoup complèteront cette lettre par celle de Missak Manouchian à sa fem me, chef du fameux groupe Manouchian ( les étrangers qui luttèrent pour la libération de la France ).

A Saint-Ouen, nul doute que les enseignants parleront de la lettre de Rino Della Negra résistant de ce même groupe et joueur au Red Star. Les anciens combattants de la ville et le Collectif des amis du Red Star commémorent sa mémoire, tous les ans, par une gerbe au stade Bauer.
Ci-dessous les lettres de Guy Moquet, Missak Manoukian et Rino Della Negra.
Les paroles de L’Affiche rouge écrites par Louis Aragon.
(1) Pour tout savoir sur le sujet, le formidable livre de Pierre-Louis Basse ( audonien et supporter du Red Star ) : « Guy Môquet, une enfance fusillée », Editions Stock.

LA LETTRE DE GUY MOQUET
Ma petite maman chérie,
mon tout petit frère adoré,
mon petit papa aimé,
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c'est que ma mort serve à quelque chose. Je n'ai pas eu le temps d'embrasser Jean. J'ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable, je ne peux le faire hélas ! J'espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui je l'escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t'ai fait ainsi qu'à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j'ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m'as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j'aime beaucoup. Qu'il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine.
Je ne peux en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, en vous embrassant de tout mon cœur d'enfant.
Courage ! Votre Guy qui vous aime.
Guy
Dernières pensées : vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les 27 qui allons mourir !


LETTRE DE MISSAK MANOUCHIAN
Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense.
Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.
Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.


LETTRE DE RINO DELLA NEGRA A SYLVAIN
Petit frère,
Je veux t’envoyer un dernier petit mot pour que tu réconfortes de ton mieux Maman et Papa.
Tu es fort et robuste et je te sais courageux et c’est pourquoi je ne veux pas de larmes, t’as compris, hein mon vieux.
Je n’avais jamais pensé au mariage, c’est pourquoi les parents ont du chagrin, car j’avais l’intention de finir mes jours avec eux. Tu peux me faire plaisir en te sachant toujours près d’eux et de toujours les aider de ton mieux. C’est ton tour.
C’était le mien aussi, mais je n’ai jamais été très chanceux. C’est tout ce que je voulais te dire.
Remonte le moral à tout le monde et tout finira pour le mieux. Je veux que tu ailles chez tous les copains : Toni, Marius, Dalla, Keyla, Avante, Dédé, Papou, Cari, chez Inès en souhaitant le bonjour à tous les copains et les copines de Mara.
Embrasse bien fort tous ceux que je connaissais . Tu iras au Club Olympique Argenteuillais et embrasse tous les sportifs du plus petit au plus grand. Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star.
Je veux que tu ailles embrasser pour moi, toute la famille Barbera, Vincent, Paulette, Claudie, la Mater et le Pater, Thomas et Angèle et tout l’hôtel Parisis, chez la grand’mère à Yiyi, chez Sola et Raymond, chez Georges, chez Mario, chez Gilles, chez Bernard et chez tout le monde.
Embrasse bien Yiyi quand il reviendra et Dédé Grouin. Va chez Toni et faites un banquet.
Enfin, faites tout pour le mieux.
Je finis en t’embrassant bien fort, et courage. Ton grand frère qui t’aime toujours.
RINO
Photo: Archives de la Mairie d'Argenteuil


L’AFFICHE ROUGE
Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

Poème de Louis Aragon, chanté par Léo Ferré


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