« LE FOOTBALL AUX FOOTBALLEURS »
UNE UTOPIE ENTERREE ?




22 mai 1968. André Merelle et Michel Oriot, joueurs du Red Star
alors en première division, finissent leur petit déjeuner lorsque la radio annonce que le siège de la fédération française de football est occupé « A l’époque, tout le monde occupait son usine, raconte Merelle. On décide donc d’aller voir. Sur place, était les seuls pros, et les joueurs amateurs présents, des gauchistes , nous ont sauté dessus. » Sur la façade du bâtiment, les « gauchistes » suspendent un drapeau rouge et une banderole « Le football aux footballeurs ». Beau slogan.

Mais que cache-t-il alors ?
André Merelle Michel Oriot « ça rejoignait les préoccupations du syndicat ( Union nationale des football professionnels , UNFP , créée en 1961 ) qui luttait à l’époque pour le contrat à temps. On trouvait aussi que la direction de la FFF était féodale », explique Mérelle . Et puis il y a des revendications bien éloignées de la politique comme… la défense en ligne. « Le miroir du football était derrière le mouvement et en matière de jeu, leur principe absolu était la défense en ligne. Ceux qui étaient contre étaient des cons. C’est un peu limite comme principe, concède Merelle, mais bon, la défense en ligne était plus intelligente que le béton. C’est une forme évoluée de jeu ».
Une métaphore de l’organisation collective face à l’individualisme du marquage à la culotte- en gros.
Avec leurs revendications tous azimuts, les gauchistes du ballon rond version Mai 68 tentent de participer à la gestion de leur sport. Et sans que le lien avec eux puisse être ni établi ni tout à fait exclu, le contrat à temps entre en vigueur en 1969. Pierre Delaunay, qui avait succédé à son père, Henri, à la tête de la « féodale » FFF, est remplacé par Fernand Sastre en 1972 ,année où le football français connaît la seule grève de son histoire et,un an plus tard, naît la charte du football professionnel qui garantit les droits des joueurs. On vient ( partiellement ) de rendre le football aux footballeurs.

Quarante ans plus tard, qu’en reste-il ?
En 2008, les principaux intéressés sont moins romantiques qu’André Merelle et ses potes. A l’image de Philippe Piat coprésident de L’UNFP, pour qui «  il n’est pas recommandé que les joueurs prennent le pouvoir au sein des clubs ». Sylvain Kastendeuch , l’autre coprésident, pense que «  les joueurs ne sont pas les plus légitimes sur les questions qui se posent dans le football. C’est caricatural de dire que les joueurs doivent faire la pluie et le beau temps sous prétexte qu’ils sont les principaux acteurs. En dehors de quelques exceptions, ils n’ont pas la capacité à s’élever au-dessus de la réalité du terrain ». Le football aux footballeurs, oui. Mais pas à n’importe lesquels donc. Or les « exceptions » se trouvent souvent… hors des terrains, chez les retraités. Si, à ses débuts, l’UNFP était présidée par des joueurs en activité, de nos jours ; l’engagement est plus vécu comme une voie de reconversion. Piat, devenu président du syndicat en 1969, quatre ans avant la fin de sa carrière, reconnaît qu’ « aujourd’hui, avec deux entraînements par jour et de match en semaine, c’est plus difficile d’être actif. Et puis, l’organisation en place ne justifie plus l’implication de joueurs. On a trente-deux salariés à l’UNFP, c’est une organisation de guerre ».

« Le football aux footballeurs » devient de fait « le football aux ex-footballeurs »
Ce qui ne déplaît pas aux actifs. Le gardien nancéien Gennero Bracigliano, délégué UNFP dans son club, admet  «  qu’il n’y a pas de débats dans le vestiaire  » sur les thèmes qui occupent son sport et, selon lui, « personne ne connaît aussi bien les problèmes et les exigences du monde du football qu’un ancien footballeur. La nomination de Platini à la tête de l’UEFA va dans le bon sens », conclut-il. «  le football aux footballeurs » était d’ailleurs le slogan prêté à Platoche lors de sa campagne contre le Johansson tout en sauce. « Avec Platini, les portes se sont ouvertes et les joueurs sont enfin représentés dans les commissions de l’UEFA , se réjouit Kastendeuch. Lennart Johansson ne voulait pas entendre parler de nous ». Dans l’ombre, Piat est même devenu un des conseillers favoris de Platini . La voix des joueurs est désormais entendue dans toutes les instances , jusqu’à la FIFA , à travers la FIFPRO, syndicat mondial . Blatter est également un adepte du fameux slogan un paradoxe qui n’en est pas un puisque le bon Sepp n’a qu’une inquiétude : que des instances extraportives viennent se mêler des petites «  affaires »  du ballon rond. « Le football aux footballeurs » a aussi son côté sombre.

Appel à la grève
Résumons. Les joueurs ont un statut qu’ils ont eux-mêmes négocié, leurs représentants siègent dans toutes les instances officielles et les dirigeants du foot les consultent. Si l’on ajoute à cela des conditions de travail privilégiées. « Il n’y a pas que l’argent qui compense les entorses au droit du travail glisse Bracigagliano. Il y a que l’emploi du temps et le plaisir que tu prends tous les jours » -, on voit mal où pourrait aujourd’hui se situer leur « combat ».
Depuis Clairefontaine , ou il dirige l’INF, André Mérelle est un peu moqueur : « On se demande contre quoi l’UNFP peut lutter, à part des trucs annexes. C’est comme les socialistes qu’on à du mal à croire de gauche car ils ne remettent plus en cause l’économie de marché ». Heureusement , la nature a horreur du vide et une réforme de la LFP, dont les prémices sont attendues en février, promettrait de réduire l’importance des hommes de terrain dans les instances, afin de renforcer le pouvoir décisionnel des présidents de club par rapport aux joueurs, notamment. Il n’en faut pas plus pour remettre en selle les combattants assoupis .
« Il y a un danger majeur, s’emporte Kastendeuch . Je ne donne pas cher du football professionnel si on suit les directions que les présidents les plus puissants veulent prendre, le sport ne deviendrait plus qu’un alibi ( à l’UNFP, on craint la dérive « ligue fermée » qui assécherait la glorieuse incertitude du sport mais diminuerait d’autant la prise de risque économique . Les joueurs seraient, selon Kastendeuch, opposés ( contre leur propre intérêt financier ) à une telle mesure ; bonne nouvelle, ndlr ). »

Depuis fin 2007, l’UNFP
a donc entamé une tournée des clubs pour sensibiliser les joueurs à cette question et les a trouvés très réceptifs. Au point que Philippe Piat promet du lourd si les nouveaux statuts de la LFP lui déplaisent. « Là ça va chauffer, on est partis pour une grève » ; s’excite -t-il . Réaction atavique d’un vieux syndicaliste nostalgique qui rêve encore du Grand Soir ? Que nenni . «  Si Piat dit qu’il faut faire grève , on sera toujours derrière le syndicat . On est convaincus qu’il font les choses à 100% pour les joueurs et le football » ; clame Bracigliano.
Reste à savoir s’ils seront plus de deux pros à venir occuper le siège de la Ligue.

Par Jean Damien Lesay pour So Foot. Février 2008

………………………………
Grande photo de Jean-Claude Seine, Journaliste Reporter d'Images
Site magnifique de ses photos sur Mai 68 : http://www.jcseine.com
Les deux autres photos : archives de Claude Chazotte


[ Retour à la page Archives ] [ Retour à la page d'accueil ]